Terre !

Etre heureux est un travail de tous les instants. Et en ce moment, j'y travaille dur. Plus qu'à mon concours. Je joue à trouver et à retrouver, ceux qui me sont chers et moi. J'ai la délicieuse impression d'être en-vie.

Petits plaisirs en solitaire, à deux, à plus : mourir de faim mais prendre le temps de se faire une salade avocat-crevettes, bouder les escalators, regarder la tour Eiffel se détacher sur le fond rose du ciel de 19h depuis la ligne 6 du métro, faire des micros siestes, battre des records de disparition de chocolats de Pâques, lire, rire, échanger...

Je me suis mise à regarder les nuages. Ca me titillait depuis l'intervention de Roubaud au lycée. Avec les alternances de pluie et de soleil qu'offre cette fin de mois de mars, le ciel passe du bleu au gris, les nuages du blanc au noir, avec une rapidité déconcertante. C'est quelque chose que je n'avais jamais fait, m'allonger sur mon lit, en travers, la tête sous le velux. Et faire rien. Regarder passer les nuages. Un truc de gamin et de poète. Se laisser pénétrer de leurs contours changeants en se récitant des passages de Ciel et terre, et ciel et terre, et ciel auquel Dominique Moncond'hui avait fait référence pendant sa conférence.

Avec L., nous sommes allées hier soir assister à l'enregistrement de l'émission Le masque et la plume à la maison de la radio. J' ai préféré la première heure consacrée aux livres à la deuxième consacrée au cinéma. Je pose maintenant un visage sur la voix de Patricia Martin qui rythme  mes premiers étirements au chaud sous la couette les matins en semaine. J'ai été tellement subjuguée par la façon de s'exprimer de Nelly Kaprièlan que j'ai décidé d'arrêter de dire "trop pas", c'est dire. J'ai regretté de ne pas avoir un stylo à portée de main quand Jean-Claude Raspiengeas a cité "L'écrivain est un fuyard qui ne rêve que d'être rattrapé". Je suis sortie de là avec l'envie de me mettre à la lecture du Théorème d'Almodovar, de L'Harmonie des plaisirs, de la Chronique du règne de Nicolas Ier... et en me disant qu'il fallait vraiment que je me dégote un stage à la maison de la radio.

J'ai commandé les dix livrets cartes postales publiés chez D'un noir si bleu. C'est dad qui m'a fait découvrir ces petites merveilles à la croisée de la littérature et de la correspondance qui ne pouvaient que me séduire. Une nouvelle-carte postale de moins de vingt grammes. C'est léger, ça s'envoie sans faim. Je suis en train de les lire pour déterminer quoi est pour qui... En ce moment, j'écris beaucoup. Pour les autres. Je poste une à trois lettres par jour et reçois le lendemain des textos traduisant des réactions variées. Peu importe le contenu de ces réactions, seule importe leur existence.

Sur le site du Collège de France (dont l'ambition est "d'enseigner la recherche en train de se faire"), trois cours à télécharger/écouter absolument pour exciter son intellect tout en douceur. Antoine Compagnon, dans "Morales de Proust", explique en quoi "La lecture est une expérience morale, une expérimentation morale, une épreuve morale." Michael Edwards fait un sort à l'expression de Claudel "Le bonheur d'être ici" (ses cours sur Shakespeare, ou pourquoi le poète a préféré le théâtre, sont très bien aussi). Les cours de Michel Zink "La poésie comme récit, des nouvelles de l'amour", à écouter aussi.

Sur le site d'Ilan, un khâmarade de khlâsse, un court métrage de Jean Eustache intitulé "Les photos d'Alix" qui m'a interpelée. Alix-Cléo Roubaud y dit au sujet d'un de ses clichés "Comme quoi une photographie peut être personnellement pornographique tout en étant publiquement décente, n'est-ce pas ?". C'est très juste et joliment formulé, j'aurais voulu le trouver.

Comments

[Marine]

Comme quoi Proust avait raison, tout vient trop tard.
On avait le temps d'être heureux
et il faut qu'on soit au bord de l'urgence pour se rendre compte qu'on en avait besoin


(je suis très mélancolique en ce moment. Scotch-brite ne m'est d'aucune utilité. J'ai besoin d'une éponge mais je n'en ai pas ... quelle ironie !)