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In Bocca Al Lupo
19 décembre 2009

Chronique londonienne #1 Hiver

En ce moment, j'hiberne à l'anglaise. C'est à dire que j'hiberne comme j'hibernerais en France, sauf que je suis en Angleterre. Femme d'intérieur, entre trois murs tapissés et une baie vitrée.

Le chauffage se met en route deux fois par jour, le matin de 7h à 9h et le soir de 17h à 23h. Trois jeunes nanas, un budget, j'ai nommé limité (c l i c). Petit déjeuner, tâches ménagères, écritures scolaires et lectures extra-scolaires. En ce moment un merveilleux recueil de textes courts offert par J. (c l i c). 

Il fait froid. Ce n'est pas tant la pluie et la neige que le vent qui me gêne. P. me reproche souvent de privilégier un look glamour à une double épaisseur qui m'éviterait un rhume. Ici, je fais moins la maligne. Quand je sors le soir, je me voudrais papillon en mini robe (c l i c) qui sort de sa chrysalide protectrice, mais non. La mini robe fait moins d'effet avec sous pull à col roulé, manches longues et double épaisseur de collants.

Sortir faire les courses sans recevoir un goutte de pluie tient du challenge sans cesse renouvelé (ou du frigo sans cesse vidé). Le coup d'oeil par la fenêtre, tiens un rayon de soleil et si j'allais faire deux trois courses, manteau, écharpe, gants, cache-oreilles (c l i c), trop tard me dit le gros nuage qui s'est formé juste au dessus de mon trajet. Ca fait partie des choses que j'aime à Londres; le ciel anglais nous rappelle que tout est éphémère, et ce d'une manière assez cinglante.

Le chauffeur de bus du 168 me l'a rappelé aussi. Un matin, alors que j'avais rendez-vous à la LSE et que j'étais fort peu en avance voir légèrement ricrac niveau timing. Pourtant je ne m'étais pas maquillée; je me maquille dans le bus, ce n'est pas un double étage rouge qui va changer mes habitudes parisiennes. Je suis montée dans le 168 direction Old Kent Road Tesco. Arrivée au niveau de Russell Square, je constate que le bus est vide. Je ne m'alerte pas, la rush hour matinale est passée (c l i c). Le bus tourne après Russell Square puis autour de Russell Square. Ce n'est pas prévu. Je me lève Je sais de ouï-dires et d'expérience que les chauffeurs de bus à Londres ne sont pas outrageusement communicatifs. J'enclenche le sourire et la voix oscillant entre parfaitement timide et ce qu'il faut de suave.

"Hi. I don't mean to bother but you're going to Aldwych, right?"

"I don't know."

Choc. Ma représentation mentale "ligne de bus = itinéraire attitré" s'effondre. Je (me) reprends.

"Well fyi this bus is supposed to go to Old Kent Road Tesco. It's 168."

"The fact that it has always been the case doesn't mean that it always will be."

Bam. Voilà mon chauffeur de bus qui me détricote ma routine à coup de Kant. Les principes fondamentaux de la philosophie transcendantale avant la pause déjeuner, ça ne m'était pas arrivée depuis la prépa. Et c'était différent en prépa : je m'y attendais, je m'y préparais, je séchais la philo (c l i c). En temps normal, je me serais dit ça fait un super bon début de roman; mais là, j'étais plutôt préoccupée par l'accroissement significatif de la probabilité d'un retard à mon rendez-vous. Je suis descendue pour reprendre un 168 plus conventionnel et qui ne remette pas en cause mes prédictions et mes prétentions quant à l'ordre du monde. Il m'a fallu trois pas. Un pour descendre, un pour sourire, un pour me dire que les moments suspendus de Londres, c'est un peu comme les jardins suspendus de Babylone, ça n'a pas de prix et ça fait des bons débuts de romans (c l i c).

Ici, c'est comme à Paris, sauf que ce n'est pas pareil. Il ne se passe pas une journée sans que j'entende des mouettes. Pour moi qui suis une fille de l'intérieur des terres, c'est pour le moins dépaysant. Les commerçants m'appellent honey, sweetie, ou encore darling. Je souris à chaque fois, mais je crois que je ne m'y ferais pas. Par contre j'aime quand ils me demandent comment ça va. Ce n'est pas SBAM, mais SBCCVAM. Je n'ai compris qu'un quart de seconde trop tard que c'est une question d'habitude, de culture et de fonction phatique; quand j'ai vu l'expression sur le visage du vendeur de la supérette au moment où il a réalisé que j'entamais un compte-rendu détaillé de ma journée en réponse à sa question farpaitement (c l i c) rhétorique.

Je me plais bien ici. Je me reconnais. Dans les thés solubles. Dans la folie des Christmas cards. Je me découvre. Dans l'enseignement. Dans la coloc. Je profite.

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Commentaires
M
Ca y est, je me souviens pourquoi le train et le métro me rassurent : on peut être coincé au milieu de nulle part parce que le train a heurté une dalle de béton (sic), mais les rails limitent les possibilités de fantaisie.
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